mardi 27 janvier 2015

Finance participative : les apprentis banquiers sont à la fête

Les particuliers peuvent désormais prêter aux PME moyennant rémunération. En donnant ce (petit) coup de canif au monopole bancaire, le gouvernement a créé un nouveau marché. Une dizaine d’entreprises se sont déjà engouffrées dans la brèche et d’autres fourbissent leurs armes.
Leur métier ? Mettre en relation des petites sociétés en quête de financement et des particuliers à la recherche de placements rémunérateurs. Et cela fonctionne. « Il nous a fallu moins de trois semaines pour emprunter sur un site de prêts les 100 000 euros nécessaires pour ouvrir notre boutique à Paris, alors que notre banquier nous faisait mariner depuis un an », raconte Erwann Goullin. Depuis, le PDG de 727 Sailbags rembourse chaque mois les 161 particuliers qui lui ont accordé ce crédit à un taux de 7,1 %.
« Chaque année, les banques prêtent entre 80 et 100 milliards d’euros aux TPE [très petites entreprises]. A terme, les plates-formes de prêts en ligne devraient capter un quart de cette somme », s’enthousiasme Olivier Goy, le PDG de Lendix.

Rémunérer le risque pris
Cet optimisme s’appuie sur l’explosion du secteur à l’étranger. Aux Etats-Unis, bien sûr – LendingClub va générer à lui seul 4 milliards de dollars de prêts en 2014 –, mais aussi au Royaume-Uni où le volume de crédits devrait cette année frôler le milliard d’euros, soit 3,5 fois plus qu’en 2013, selon une étude du cabinet Nesta.

Pas étonnant donc qu’en
 France, les sociétés de capital-risque se positionnent. Partech Ventures a investi dans Lendix, et Truffle Capital prépare pour début 2015 son propre site, Credit.fr.
« Les fintech – contraction de sociétés financières et technologiques – vont bouleverser le secteur bancaire. Les plates-formes de prêts font partie de ces innovations de rupture », assure Bernard-Louis Roques, son directeur général.
Ces sites se présentent comme une alternative au secteur bancaire. « Nous bouchons un trou dans la raquette du financement : celui des toutes petites sociétés, qui cherchent de petits montants et intéressent peu les banques », explique Polexandre Joly, le fondateur de Finsquare. D’ailleurs ces plates-formes croulent sous les dossiers. « En un an, plus de 2 000 sociétés nous ont sollicités », explique Nicolas Lesur, le PDG d’Unilend, qui a ouvert avant que le législateur ne précise les règles.
Il faut dire que leurs arguments sont imparables : une capacité à prêter en un temps record et surtout de faibles exigences, puisque le patron emprunteur n’a pas besoin de se porter caution ni de payer des garanties et autres assurancesCette souplesse se paie cher.
Cette souplesse vaut cher : les taux peuvent paraître rédhibitoires face à ceux pratiqués par les établissements bancaires.
« Encore faudrait-il qu’ils nous prêtent ! Il a fallu deux mois à notre conseiller pour nous refuser le prêt. En six jours, j’ai obtenu 50 000 euros sur un site. Cette rapidité est cruciale », explique Sandrine Duffaud, la dirigeante de Spokes'n Motion Europe, une entreprise toulousaine, qui distribue du matériel handisport.
Si les intérêts sont élevés c’est qu’ils sont censés rémunérer le risque pris par les prêteurs, car en cas de faillite, le particulier ne peut pas se retourner contre le site intermédiaire. D’ailleurs, la plateforme Unilend vient d’enregister son premier défaut.


Quelques garde-fous

De quoi refroidir les ardeurs ? Sur cette question cruciale, les start-up ont rodé leur argumentaire : toutes disent avoir embauché des spécialistes du crédit et du recouvrement. Quant aux emprunteurs, ils doivent montrer patte blanche : au moins deux années d’existence et des bilans suffisamment solides. « Au Royaume-Uni, le taux de défaut sur ces plateformes est inférieur à celui du secteur bancaire », note Vincent Ricordeau, le fondateur de Kisskissbankbank, qui vient de se lancer dans cette activité avec Lendopolis.
Il n’empêche, lancer un tel site est, de l’aveu même de certains acteurs, trop simple. « Obtenir le statut d’intermédiaire de financement participatif est simplissime, avec tous les dangers de dérives que cela comporte », prévient M. Joly.
Certes, le gouvernement a mis quelques garde fous - le particulier, par exemple, ne peut pas miser plus de 1000 euros par entreprise - mais est-ce suffisant ? « Ces entreprises sont soumises à de nombreuses obligations d’information et doivent notamment mettre en place une solution pour assurer la continuité des prêts si elles venaient à fermer. Nous allons contrôler tout cela », assure Fabrice Pesin, secrétaire général adjoint de l’ACPR.
La confiance du grand public est essentielle. Ces sites fonctionnant comme des places de marché, l’offre et la demande doivent être équilibrées. Or si l’intérêt des PME est facile à comprendre, les prêteurs doivent aussi y trouver leur compte.
« C’est pourquoi nous travaillons, à l’échelle européenne, à établir plus de transparence, à adopter des règles communes afin que les particuliers s’y retrouvent », explique Oliver Gajda, président de l’European Crowdfunding Network.


Gagner la confiance

Un travail indispensable, car cette confiance ne se décrète pas. Aux Etats-Unis, Lending Club a mis trois ans avant de trouver son public et englouti 50 millions de dollars avant d’être rentable. Les entreprises doivent donc avoir les reins solides.
« Ce métier nécessite des investissements technologiques, le recrutement d’équipes… malgré notre croissance, nous ne serons pas rentables avant 2017 », explique M. Lesur, qui prépare une levée de fonds.
A ce petit jeu, Lendix, qui dispose de 7 millions d’euros en caisse, est, pour le moment, le mieux doté. Son P-DG vise entre 30 et 50 millions d’euros de crédits alloués en 2015 et au moins le double l’année suivante. Pour faire gonfler rapidement son stock de crédits, des investisseurs institutionnels vont venir jouer le rôle de prêteurs aux côtés des particuliers.
Face à lui, Lendopolis cherche à créer une marque en se concentrant sur le grand public. Pour asseoir sa notoriété, l’entreprise a passé un accord avec le quotidien Les Echos, qui lui assure une importante promotion en échange de 10 à 15 % du capital.

Derrières eux, les futurs entrants vont devoir reboubler d’efforts. Car dans ce métier de « place de marché » il existe une prime à la taille. Les leaders, en offrant plus de choix attirent plus de monde, et le cercle vertueux s’autoalimente.